Rarissime lapsteel Gibson Double Neck Electric Hawaiian, produit à Kalamazoo vers 1938, en très bel état de conservation.
Lorsque l’on entend « Gibson à double manche », on est plus susceptible de se figurer un modèle EDS-1275 des années 50 ou 60 plutôt que la guitare avec deux manches de 8 cordes présentée ici… qui est en réalité la première expression de ce genre d’instrument, apparu de manière concomitante avec l’émergence des guitares électriques produites par Gibson vers la moitié des années 30. D’après l’histoire de ces modèles retracée par André Duchossoir et Lynn Wheelwright, des premières commandes sont passées dès 1936 de la part de musiciens ayant besoin d’un instrument doté d’une flexibilité accrue par rapport aux modèles hawaïens standards à 6 ou 7 cordes, déjà proposés au catalogue.
En figure de proue de ces développements se tient le musicien Alvino Rey, multi-instrumentiste de renom qui officie en tant que guitariste dans plusieurs orchestres de jazz depuis le début de la décennie, bénéficiaire d’une disponibilité bienveillante auprès de Gibson qui intégraient bien volontiers ses suggestions dans l’amélioration de leur ligne bourgeonnante de Electric Hawaiians : Rey, parfaitement rompu au fonctionnement de l’électronique des instruments, est surtout éminemment bien placé pour comprendre les besoins des instrumentistes et la façon de les implémenter sur les guitares – il a notamment grandement contribué à la Console Grande, commercialisée par Gibson à partir de 1938 et surtout de l’Electraharp, premier modèle employant des pédales permettant de moduler l’accordage en temps réel.
Avant ces deux modèles, une solution bien plus rudimentaire était proposée sous la forme de la Double Neck Hawaiian Guitar : un instrument avec deux manches de 6, 7 ou 8 cordes permettant une configuration avec deux accordages distincts jouables de façon simultanée. Après des premiers essais en 1936, le modèle est introduit au catalogue de 1937 comme une version siamoise de l’EH-150. Néanmoins, étant essentiellement destiné à des musiciens professionnels, les commandes spéciales adaptées aux besoins personnels d’un individu affluent et assez rapidement on trouve des instruments aux formes et aux caractéristiques parfois incongrues. L’instrument présenté ici est un exemple de choix, pourvu d’un aspect géométrique aux accents art-deco qui le rendent particulièrement reconnaissable ainsi que de mécaniques Grover dont les boutons sont orientés vers le haut pour faciliter son accordage. Comme pointé dans l’ouvrage d’André Duchossoir Gibson Electric Steel Guitars, il s’agit d’une des deux guitares commandées par le musicien Lorry Lee entre novembre 1937 et janvier 1938, son nom figurant au registre d’usine devant un lot composé d’une guitare Double Neck De Luxe H.G., un amplificateur EH-150 et un lot d’accessoires incluant un stand et un étui spécialement prévus pour cet instrument hors-normes. Par ailleurs, Lee apparait photographié dans les catalogues Z et AA de 1938 et 1939 en train de jouer une de ses guitares custom – impossible de savoir avec certitude si l’instrument figurant dans le catalogue est celui présenté ici, mais il y a de fait une chance sur deux pour que ce soit le cas !
L’instrument nous parvient superbement conservé, complet avec ses deux micros Charlie Christian (ceux-ci sont ajustables en hauteur au moyen de deux vis présentes sur la table et pourvus de plots individuels sous chaque corde), son électronique comprenant un contrôle de volume et de tonalité généraux, et son accastillage comprenant deux chevalets chromés, deux boutons de potentiomètres en Bakélite, et pas moins de 16 mécaniques Grover G-18 à bouts pointus, typiques de la seconde moitié des années 30. La construction du corps est en érable, hollowbody pour la caisse et massif pour la pièce constituant les manches et les têtes. Double touche en ébène ornée d’incrustations en nacre. L’ensemble est fini dans un beau Sunburst noir-ambré ornant la table, le fond, les manches et les têtes. Le micro du premier manche a été rebobiné avec une résistance DC identique à l’originale, les fils de la bobine originale ayant été atteints de corrosion – le micro fonctionne à présent parfaitement et avec un niveau de sortie égal à celui du second manche. Premier manche monté en cordes pour le jeu en E majeur, second manche monté pour le jeu en G majeur – l’instrument a été vérifié, nettoyé et préparé pour le jeu dans notre atelier.
Pour compléter ce lot d’exception, le lapsteel est vendu dans son étui Geib d’origine, ajusté à la forme.
VENDUE