Tout droit sortie de l’aube de l’ère électrique, une rarissime Recording King Roy Smeck Model-A104 de 1938, en état d’origine exceptionnel !
Aux yeux des amateurs de guitares électriques pre-war, ce modèle en évoquera immédiatement un autre, le plus reconnaissable et iconique produit dans la période : la Gibson ES-150 – intimement liée au jazzman Charlie Christian, qui sera l’un des premiers à populariser le jazz électrifié dans le contexte du bebop naissant. Et effectivement, malgré l’absence de la marque Gibson, le présent modèle a été construit au même endroit, à la même époque, selon les mêmes caractéristiques et vraisemblablement par les mêmes mains que celles qui ont façonné les ES-150 !
Pour comprendre l’avènement de cet instrument, il nous faut revenir à la décennie précédente, alors que Gibson mesurait ses options pour survivre à la rude concurrence que lui opposaient les fabricants de banjos, instrument par excellence du jazz bourgeonnant et qui rencontrait à l’époque un succès fulgurant, tandis que la vieille maison de Kalamazoo s’acharnait (et c’est tout à son honneur) à construire de luxueuses mandolines F-5, persuadée d’un avenir radieux pour leur instrument fondateur. Le départ en 1924 de Lewis Williams, C.V. Buttleman et Lloyd Loar, respectivement le directeur général, le directeur des ventes et le chef des ingénieurs en acoustique, marque la fin d’une époque pour Gibson, puisque c’est ces trois personnages qui catalysaient l’obstination forcenée à poursuivre le développement et la construction de mandolines malgré l’évidence des modes et des goûts musicaux changeants. Gibson nomme alors une nouvelle équipe plus à même de réagir à la tournure que prenait le paysage musical américain en la personne de Guy Hart et de Franck Campbell, qui remplacent Williams et Buttleman. Ils entament la réfection de l’entreprise, mettant sur pied très rapidement la ligne de banjos Mastertone qui non seulement comble le retard de Gibson dans le domaine mais surpasse la majorité de leurs compétiteurs, et étendant également la gamme de guitares archtop aux côtés des premières flattops en 1926.
Campbell se trouve être doté d’un génie commercial particulièrement aiguisé, et se lance dans une démarche qui assurera la pérennité de Gibson durant au moins deux décennies à venir : la fabrication d’instruments sous d’autres marques, destinés à être distribués par divers revendeurs – nous sommes dans l’âge d’or de la vente par correspondance, et toutes les grandes enseignes (Sears Roebuck, Grossman, etc.) proposaient à leur catalogue une panoplie d’instruments de musique, dont bien sûr des guitares. Dès lors, les marques made in Kalamazoo se démultiplient : Kel Kroydon, Kalamazoo, Cromwell et Recording King, pour ne citer que les principales, au total on recense une trentaine de noms (pas nécessairement produits de façon continue) entre la fin des années 20 et le début de la Second Guerre mondiale. Soulignons que cette production annexe aux guitares portant le logo Gibson aura été à plusieurs reprises salvatrice pour le constructeur : malgré la Grande Dépression qui frappe les États-Unis à partir de 1929, les modèles économiques produits et vendus en masse à l’instar des guitares Kalamazoo permettent à Gibson de garder la tête hors de l’eau alors même que nombre d’autres fabricants sombraient.
Nous en arrivons ainsi à Recording King, marque sous laquelle Gibson produit des instruments pour le géant de la vente par correspondance Montgomery Ward : la relation entre les deux enseignes remonte à 1928, et dans la seconde moitié des années 30 on retrouvait au catalogue du distributeur un vaste choix de mandolines, banjos, guitares et lapsteels produits directement à Kalamazoo ! Une autre caractéristique notoire des instruments issus de cette collaboration sont les endorsements de plusieurs artistes en vogue à l’époque, qui accolent leur renommée aux guitares : Carson Robison et Ray Whitley, deux fameux singing cowboys qui associent leurs noms à divers modèles flat top, et Roy Smeck, un prodige multi-instrumentiste bénéficiant déjà de plusieurs modèles artiste avec Gibson qui dote du sien deux modèles hawaiien électrique et un modèle spanish électrique : la Recording King Roy Smeck Model-A104, désignée Model 1127 dans le catalogue Montgomery Ward et dans le registre de production de Gibson.
Cette guitare est quasiment identique à l’ES-150 telle qu’elle est produite à la fin des années 30, dotée d’une table massive en épicéa avec un barrage en X, d’éclisses et d’un fond en érable (bombé sur la Recording King tandis qu’il est plat sur l’ES-150), d’un manche en acajou surmonté d’une touche en palissandre, et du micro simple bobinage dit blade pickup, introduit 3 ans auparavant sur les premiers instruments électriques de Gibson ! C’est ici que les divergences esthétiques débutent : bien que techniquement identique au micro monté sur l’ES-150, celui de la Recording King comporte une platine supérieure ovale au lieu de la forme hexagonale sur la Gibson ; la tête comporte également une forme alternative en pointe de flèche, typiquement trouvée sur les instruments d’autres marques de Kalamazoo ainsi que sur quelques rares modèles Gibson produits juste avant la guerre (tels que la version finale de l’EH-100) ; évidemment, le placage de tête comportant un cartouche en nacre indiquant la marque Recording King ainsi qu’une inscription peinte au pochoir donnant le nom de Roy Smeck et le numéro du modèle ; quelques différences dans l’accastillage, telles que le matériau du pickgaurd, le style des boutons en Bakélite, et le cordier ; enfin, le micro est retourné à 180° par rapport au positionnement habituel d’une ES-150 en position manche, de sorte à ce qu’il se retrouve placé à équidistance du bout de touche et du chevalet – à ce propos, il est intéressant de noter que la plupart des Recording King Roy Smeck rencontrées ont un micro positionné comme celui de l’ES-150, avec les potentiomètres placés sur la partie supérieure du corps côté basses. La configuration différente de la guitare présentée ici s’explique par le fait qu’il s’agit d’un des premiers modèles construits au cours de la période de production allant de 1938 à 1940, et que Gibson ré-utilise initialement un design déjà employé sur les guitares électriques qu’ils construisent sous le nom de marque Cromwell depuis l’année précédente – on peut supposer que Recording King ait par la suite réclamé une modification de l’aspect du modèle qui leur était destiné afin qu’il n’y ait aucune confusion entre les deux de la part d’acheteurs (ironique, puisqu’encore une fois tous ces modèles étaient foncièrement identiques !)
L’instrument, vieux de 86 ans, nous parvient aujourd’hui en état de conservation absolument époustouflant, et il s’agit sans exagération d’un des instruments pre-war les plus intègres et purs que nous n’ayons jamais rencontré ! Il demeure parfaitement d’origine, avec l’ensemble de son accastillage, son vernis Sunburst, son électronique et son micro. Nous nous sommes appliqué à l’optimisation complète de son réglage, avec une planimétrie des frettes, l’ajustement de son sillet de tête et de son chevalet, et retrouvons ainsi une jouabilité idéale avec une action basse et une intonation juste. Voici l’instrument idéal pour découvrir la sonorité très spéciale du micro Charlie Christian, tandis que même débranché, l’instrument possède une superbe sonorité acoustique grâce à ses caractéristiques de construction.
Pour compléter ce lot d’exception, la guitare est vendue avec son étui Geib en tweed original, lui aussi parfaitement préservé après presque neuf décennies !
ON HOLD