Martin
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MARTIN
Christian Friedrich Martin (1796-1873) est né en Allemagne aux alentours de Dresde à Markneukirchen, ville qui concentre alors un important vivier de fabricants de violons et de guitares dont fait partie Johann Georg Martin, son propre père charpentier, qui l’initie au métier d’art de la lutherie. Son véritable apprentissage se fait néanmoins en Autriche entre 1820 et 1826 auprès du très réputé luthier Johann Georg Stauffer (1778-1853), installé à Vienne depuis 1800, et qui fut sans doute aux côtés de Georg Ries et Johann Ertel l’un des facteurs les plus influents en matière de guitare allemande de la période romantique.
Les instruments de Johann Georg Stauffer, inspirés notamment par des virtuoses tels que Luigi Legnani (1790-1877), se distinguent alors des modèles à la française en adoptant dès le tout début du XIXè siècle une touche rapportée et une ligne générale qui sera reprise par le jeune C. F. Martin. D’autres innovations de J. G. Stauffer adoptées par C. F. Martin comme la tête asymétrique en forme de crosse avec les mécaniques en rang, le manche détachable vissé ou le pan coupé, seront réutilisées plus tard par d’autres facteurs américains de guitares électriques comme Paul Bigsby, Leo Fender ou la compagnie Gibson. Ce ne sont là que quelques exemples parmi d’autres de l’apport de la lutherie européenne dans les bagages de Christian Friedrich Martin. De retour dans l’atelier familial de sa ville natale, comme beaucoup de ses jeunes confrères, celui-ci décide d’émigrer fin 1833 aux États-Unis suite à un conflit industriel opposant la toute puissante guilde des facteurs de violons aux simples facteurs de guitares et marchands de bois. Il est intéressant de noter que c’est ce même ostracisme corporatiste qui fera venir en France – et plus précisément à Paris – un bon nombre d’artisans de la facture instrumentale depuis le sud de l’Italie au début des années vingt. Contraint donc de quitter la ville de Markneukirchen, il semble que la destination du Nouveau Monde pour Christian Friedrich Martin fut motivée par son ami luthier Heinrich Anton Schatz qui l’avait précédé en 1831. Il s’installe tout d’abord à New-York où il ouvre boutique, vendant indistinctement guitares, partitions, cordes, mais aussi instruments à vent dont il assure, en plus des guitares, la réparation. Il travaille aussi très rapidement en partenariat avec les musiciens, distributeurs et luthiers du cru John Coupa, Charles Bruno, Heinrich Anton Schatz. Néanmoins, peu satisfait par la vie new-yorkaise, il suit à nouveau l’exemple de Heinrich Anton Schatz et déménage en 1838 son entreprise à Nazareth, dans une Pennsylvanie évoquant les paysages allemands, rejoignant ainsi une petite communauté saxonne déjà implantée sur le site.
C’est à cette période, dans les années 1840-1850, que la personnalité sobre et fine des guitares Martin se définit, abandonnant pour un temps seulement la riche décoration de nacre qui ne correspondait pas aux goûts d’une clientèle protestante recherchant simplicité et fonctionnalité, se démarquant ainsi progressivement des modèles type Stauffer. Afin d’accroître le volume sonore de la guitare, les dimensions des instruments aux tailles toujours très cintrées sont agrandies – à l’instar des guitares d’Antonio de Torres au même moment en Espagne -, et le très efficace barrage en “X” constitué principalement de deux barres croisées entre la rosace et le chevalet fait son apparition. À sa mort, en 1873, Christian Friedrich Martin laisse derrière lui une entreprise qui a supporté la crise économique de l’avant-guerre de sécession et a su profiter de la reprise du marché de la guitare durant le conflit nord-sud. Christian Friedrich Martin incarne aujourd’hui l’image du père fondateur de la guitare acoustique moderne dans l’imaginaire collectif même s’il n’en est pas pour autant l’inventeur et n’a pas connu l’ère des cordes métalliques ! C’est à son petit-fils Frank Henry Martin (1866-1948) que la compagnie Martin & Co doit la plupart de ses modèles de renom des années 1920-1940 et le développement considérable de l’entreprise familiale. Celle-ci s’est agrandie conséquemment au fil du temps à Nazareth et fut jusqu’à très récemment dirigée par un descendant direct de la famille en la personne de Christian Friedrich Martin (1955), le quatrième du nom.
Si dans l’esprit de chacun Martin est aujourd’hui synonyme de guitare acoustique à cordes métalliques, il faut rappeler que ce n’est qu’à partir de 1900 que la compagnie a commencé à monter, sur commande spéciale uniquement, quelques rares modèles standards en cordes acier, soit en son nom propre, soit sous le nom des marques de ses distributeurs. Qui plus est, il est fréquent de rencontrer de nos jours des guitares Martin initialement conçues pour cordes boyaux qui ont été montées en acier ultérieurement, certaines d’entre elles ont parfois même été modifiées à cet effet. En bref, et pour ne pas y perdre son latin, il faut garder à l’esprit que toutes les guitares Martin d’avant les années 1920 ont été conçues exclusivement pour un montage à cordes boyaux.
Précisément, ce n’est qu’en 1922, assez tardivement au regard de la concurrence générale, qu’un premier modèle Martin 2-17 – offrant l’option cordes métalliques apparaît au catalogue Martin. La longue absence de Martin & Co du champ de la guitare à cordes acier peut s’expliquer ainsi : durant les dernières années écoulées, l’attention et les efforts de la compagnie se sont tout naturellement tournés vers la très populaire et lucrative mandoline; ensuite, l’entreprise qui est alors considérée avant toute chose comme le plus grand facteur de guitares à cordes boyaux de qualité supérieure, n’a pas jugé opportun de briguer une quelconque place au sein du marché naissant de la guitare à cordes acier. Or, l’ère des élégantes petites guitares à cordes boyaux touche à sa fin dans les années 1920 et ces instruments ne concernent plus qu’un public de plus en plus restreint qui ne tardera pas d’ailleurs à se tourner vers les nouveaux modèles espagnols. C’est donc avec un temps de retard et en gommant un certain conservatisme que Frank Henry Martin (1866-1948) voit dans la corde métallique la possibilité de réorienter sa production de guitare. Il répond ainsi à la popularité de la musique hawaïenne et apporte à son tour une solution à la demande pressante de volume sonore de la part des guitaristes dont les rangs se gonflent alors des banjoïstes en perte de vitesse.
Quoiqu’il en soit, et c’est là qu’intervient le talent de l’aïeul C. F. Martin, les premiers modèles à cordes acier sont identiques dans leur format et conception à ceux dédiés aux boyaux. Tous recèlent le typique barrage en “X” qui s’avère particulièrement bien adapté à la tension des cordes métalliques de tirant souple. Les formats qu’offrent les guitares Martin à cette époque sont les suivants : la taille standard, celle de la Martin 2-17 par exemple, est de 46,4 cm de hauteur de caisse par 30 cm aux hanches ; la taille 1 de 48 x 34,4 cm ; la taille Martin 0 de 48,5 x 34,3 cm ; la taille Martin 00 de 48 x 36 cm ; et enfin le plus grand format Martin est alors le Martin 000 avec 49 x 38 cm, si l’on excepte les modèles spéciaux tel que le format Martin 5-17, tous les modèles décris ci-dessus sont de nos jours les plus petits formats proposés au catalogue Martin.
Le nom des modèles Martin n’a rien de cabalistique : le chiffre précédent le tiret désigne la taille de la caisse et le nombre se réfère au degré de finitions. Le modèle Martin 2-27 est plus ornementé que le Martin 2-17, mais il s’agit bien structurellement du même instrument : la table est en épicéa ; les éclisses sont en palissandre de Rio ; le manche est en acajou avec une touche en ébène, comme le chevalet collé à plots et aux extrémités pyramidales ; une tête ajourée et rapportée présente une enture triangulaire ; les finitions 27 comprennent des filets de caisse en ivoire rehaussés de chevrons multicolores ; une touche bordée d’ivoire et une rosace incrustée de nacre ; les mécaniques d’importation allemande fonctionnent à l’envers puisque le cabestan d’accroche se trouve en-dessous de la molette. L’ensemble de la gamme des formats Martin se décline ainsi autour de finitions qui du reste deviennent de plus en plus riches jusqu’à̀ la crise de 1929 où le modèle Martin 2-17, dix points en-dessous de la 27 donc, sera construit entièrement en acajou avec un minimum de décoration. Le modèle le plus imposant Martin 000, aux mêmes essences de bois que la fameuse Martin 2-27, a quant à lui été introduit en 1902 et fut l’un des premiers à être proposé en corde acier. Néanmoins, il faut attendre 1928 pour que cette version soit de série. Il est le point de départ d’une nouvelle génération de guitares fortes d’un barrage en “X” renforcé. Ce concept de base créé quatre-vingts ans auparavant par C. F. Martin est l’apport technologique majeur autour duquel la compagnie Martin fabrique toujours avoir une culture d’entreprise sans pareille ces guitares mythiques : Martin-0, Martin-00, Martin-000, Martin-OM, les dreadnought Martin D-18 (18 pour acajou), Martin D-28 (28 pour palissandre), Martin D-35, Martin D-41, Martin D-45.