Selmer

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SELMER

Les guitares Selmer – Maccaferri représentent dans le monde et l’histoire de la guitare acoustique à cordes métalliques ce qu’on appellerait aujourd’hui une exception culturelle à la française, ou plus précisément franco-italienne dans le cas présent.

En effet, Mario Maccaferri (1900-1993) fait partie des nombreux luthiers italiens et siciliens venus s’installer en France dans le courant des années 1930 qui influenceront et feront vivre la lutherie française. Cependant, Mario Maccaferri fait figure d’exception au sein de cette communauté en cela qu’il était avant son arrivée en France un luthier de violon et de guitare primé et titulaire de brevets, un ancien élève du fameux luthier et guitariste Luigi Mozzani (1869-1943) dont il s’inspirera grandement, un professeur de guitare diplômé et un concertiste international de renom, alors que la plupart de ses compatriotes n’étaient que de petits artisans émigrés qui fuyaient souvent les chemises noires du fascisme et une misère de la même teinte. Ainsi, aux côtés des ateliers français de Mirecourt – Gérôme, Couesnon, Patenotte – et de Paris avec notamment celui de Pierre Fontaine, les modestes familles Favino, Castelluccia, Di Mauro, Anastasio, Busato, Olivieri, Rossi, Burgassi, Picco, Bucolo, Pappalardo et Jacobacci régneront sur la facture instrumentale populaire française d’avant-guerre jusqu’au début des années 1970, produisant dans leur ensemble, sous leur nom propre ou ceux de leur distributeur, une quantité d’instruments digne d’une grande compagnie américaine. Hormis leur origine et leur condition, tous ont un point commun : ils ont copié et décliné le modèle de guitare à cordes acier dessiné par Mario Maccaferri pour la maison Selmer. Celle-ci, spécialiste des bois et des cuivres depuis sa création en 1900, a entamé sa collaboration inattendue avec le luthier italien en 1931 en lui confiant la création d’une ligne entière de guitares comprenant, en plus des instruments à boyaux, des guitares à cordes métalliques dédiées aux musiques hawaïennes et jazz alors très florissantes. Si le talent et l’inventivité de Maccaferri lui a permis d’ouvrir le champ de production des usines Selmer, son opiniâtreté et quelques dissensions contractuelles auront raison de cette collaboration en 1934. Cette furtive mais prégnante aventure n’est pas sans évoquer celle de Lloyd Loar chez Gibson. L’atelier de guitare fera long feu chez Selmer jusqu’en 1952, en ne conservant qu’une nouvelle mouture de guitare à cordes acier directement dérivée du modèle Maccaferri. Le luthier, quant à lui, ayant abandonné sa carrière de concertiste suite à un accident à la main droite, a immigré aux États-Unis avant-guerre où il crée et commercialise jusqu’à sa mort, anches, violons, guitares et ukulélé en plastique. Hormis les guitares en plasique qui furent un échec, ces multiples inventions feront sa fortune et son succès.

Le premier modèle à cordes acier Selmer / Maccaferri, appelé Orchestre, a été inspiré à Mario Maccaferri par la mandoline napolitaine dont le principe de construction de la table, pliée derrière le chevalet flottant, lui assure une tension importante. La table du modèle Orchestre est ainsi voûtée dans le sens de la longueur mais aussi de la largeur, puisqu’elle est collée sur des barres courbes. Le barrage est constitué de deux barres principales horizontales placées au-dessus et au-dessous de la grande rosace ovale en forme de “D”, et de deux autres au-dessus et au-dessous du chevalet. Deux fines barres collées en oblique vers le manche rigidifient le haut de la table et deux autres verticales sont positionnées sous les pieds du chevalet. Pour des raisons de poids et de solidité, le fond – lui aussi collé sur des barres légérement courbes – et les éclisses sont, à quelques rares exceptions près, en placage combinant l’acajou, l’érable et le palissandre pour la face externe. Bien avant les guitares américaines, la caisse présente un pan coupé, une innovation héritée de Luigi Mozzani. Les manches en trois parties sont principalement en noyer et présentent douze cases hors caisse. Le talon large et plat ainsi que la tête ajourée en forme de trapèze sont rapportés à la section centrale renforcée par trois ou quatre fines réglettes de métal duralumin. La touche rapportée en ébène reçoit une frette zéro et se poursuit au-dessus de la rosace, offrant ainsi 24 cases pour les cordes de si et mi. Les mécaniques révolutionnaires pour l’époque comportent un capot et sont lubrifiées. Le chevalet flottant en ébène, d’abord massif puis allégé, est compensé et s’insère entre deux moustaches faisant office de repère de placement. Le point d’accroche est un cordier métallique permettant de recevoir des cordes à boules ou à boucles. En comparaison des guitares américaines à cordes acier de la même époque, les dimensions sont très raisonnables : pour un diapason de 64 cm, l’épaisseur de la caisse fait 8,9 cm au niveau du manche, 11,1 cm à la taille, et 10,4 cm au niveau du tasseau inférieur ; la longueur de caisse est de 47 cm ; la largeur aux épaules de 29 cm, 25 cm à la taille, et 40 cm aux hanches. Enfin, le modèle Orchestre, à l’instar du modèle Concert à cordes boyaux fabriqué par Selmer – Maccaferri, comporte un résonateur interne. Il s’agit d’une seconde caisse de résonance à l’intérieur de la première, conçue pour libérer le son de la contrainte physique de l’instrumentiste sur les parties externes de l’instrument. Le résonateur occupe tout le volume du bas de la guitare où il est fixé en trois ou quatre points ; le fond est en sapin renforcé par une barre transversale et l’éclisse en noyer épouse les contours des éclisses principales ; un réflecteur de son collé sur le fond de la caisse est installé à l’aplomb de la bouche dont la forme ovale s’explique par la présence même du résonateur. Ce qui devait être une révolution acoustique se soldera par une simple révolte, celle des musiciens qui ne firent pas grand cas de cette innovation. Le résultat escompté, à savoir un volume sonore et un timbrage non bridé et accru, ne s’est effectivement pas avéré très probant sur le modèle Orchestre, la résonance de la table à l’attaque des cordes étant franche et immédiate.

Après le départ de Mario Maccaferri, la maison Selmer propose un modèle aux proportions et matériaux similaires mais aux nouvelles caractéristiques : une petite rosace ovale en forme de “0” remplace la grande bouche en “D”; le manche moins large offre maintenant quatorze cases hors caisses; une barre supplémentaire est ajoutée dans la partie inférieure de la guitare. En dépit d’une allure commune, les modèles Selmer – Maccaferri et Selmer sonnent très différemment. Cela s’illustre parfaitement à l’écoute du musicien grâce à qui ces deux guitares atypiques sont devenues célèbres et ont perduré : Django Reinhardt, l’unique.

Dans l’imaginaire collectif et mondialise du guitariste contemporain, les guitares type Selmer, que l’on dit aussi «manouche» plus par facilité que pour de réelles raisons musicales, sont donc charnellement liées à la volubilité du musicien de jazz Django Reinhardt, à la faconde de la famille Ferré au complet avec Baro, Sarane, Matelo, Boulou & Elios et au talent en général de tous les hommes de l’art plus ou moins connus de la période héroïque des balluches de la Bastille, des caves de St Germain-des-Prés, des Puces de Clignancourt. Ainsi, si elles furent et demeurent le mètre étalon du jazz-swing dit « manouche », elles ne sont pas moins consubstantielles au genre musette, aux styles typique & exotique, à la chanson française ainsi qu’à la valse corse, voire même au malouf maghrébin.

Dès 1932, l’apparition de la guitare Selmer, instrument onéreux destiné aux professionnels, entraine dans sa dynamique la création d’une quantité quasi indénombrable d’imitations et d’interprétations du concept Selmer dont les plus belles et fidèles productions restent encore de nos jours sortis des ateliers de Bortolo Busato et Jacques Favino. Avec ces trois grâces, on peut même parler d’une « troïka des dansoirs » quand on évoque ce podium. Depuis, la guitare type Selmer s’est avérée être un phénomène inédit,  matriarcale dans l’histoire de la facture instrumentale hexagonale. Elle incarne à la fois les musiques populaires françaises de son temps et, par excellence, la guitare à corde métallique la plus originale et pérenne jamais créée en Europe dont l’aura a aujourd’hui largement déborde les frontières.

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