Gibson Electric

Gibson Electric

GIBSON ELECTRIC

Nécessité faisant loi, après être revenue sur ses positions conservatrices, et s’être engouffrée dans la production de lap-steel électriques, c’est une fois encore l’entreprise Gibson qui récoltera les fruits de l’innovation et attirera l’attention du public en 1936 avec son modèle ES-150, – ES pour Electric-Spanish -. Cette guitare fabriquée sur le modèle archtop économique à table massive L-50 avait les proportions de la ligne Grand Auditorium de Gibson semblables aux premières L-5. L’atout fondamental de la Gibson ES-150 sur ses concurrentes, outre une lutherie de qualité́ Gibson, résidait dans l’excellent micro créé́ par Walter Fuller et dans son positionnement au-dessous de la touche. Cette guitare deviendra la pierre de touche de l’ensemble des modèles amplifiés d’après-guerre, au moment où l’instrument commencera sa véritable révolution électrique. S’il ne s’agit plus véritablement d’une guitare acoustique et pas encore d’une électrique au sens plein du terme, la Gibson ES-150 fonctionne encore sur les principes acoustiques en y ajoutant une puissance sonore, ronde et chaude, colorée par la dynamique de l’électricité qui induit de nouvelles formes de jeu. Celui dont le nom est intimement lié à cette guitare, Charlie Christian (1916-1942), n’est pas le premier à avoir utilisé le modèle, mais il est certainement celui qui l’a révélé à lui-même, celui aussi qui s’est laissé envahir par la potentialité de l’instrument. Personne n’a jamais plus phrasé comme Charlie Christian, personne n’a su faire revivre la fraicheur de l’inédit de son jeu. Il est en ce sens très proche d’un Jimi Hendrix dans sa façon de jouer de l’électricité comme d’une matière, d’une couleur ou de la lumière pour un cinéaste. Le modèle ES-150 est longtemps resté un port d’attache pour nombres de guitaristes de jazz, et non des moindres : le maître Jimmy Raney (1927-1995) au toucher sublime ; le francophile Jimmy Gourley (1926-2008) ; un Oscar Moore (1916-1981) converti à l’électricité ; la trop méconnue Mary Osborne (1921-1992) ; un George Benson (1943) débutant ; un Barney Kessel (1923-2004) qui n’en conservera que le micro posé sur ses Gibson diverses et variées ; ou encore l’élève et ami de Charlie et nouveau prince du swing & blues orchestral T-Bone Walker (1910-1975) et même un Junior Barnard (1920-1951) dans le contexte du Western Swing de Bob Wills. Enfin, comment oublier le fidèle parmi les fidèles, le belge René Thomas (1926-1975) : son Smoke gets in your eye en solo de 1961 est enregistré sur ce modèle Gibson ES-150 dans le même ampli que Charlie, un EH-150. Une occasion rêvée d’écouter un enregistrement à la prise de son haute-fidélité irréprochable de ce couple électrique mythique par lequel le swing s’est amplifié avant de passer un flambeau « électrique » au bebop.

Le jazz est bel et bien la musique des années trente à soixante et dans la continuité de la Gibson ES-150, toutes les créations de Gibson qui découlent de cette innovation majeure sont un tant soit peu des guitares dites de jazz ! Aussi, selon les bourses, Gibson offrit en son âge d’or du genre et au fil des années des gammes de qualité qui répondaient à la demande d’une clientèle à la recherche de la musicalité de leur idole. En un temps où les modèles d’usine sont les mêmes pour les professionnels que pour les amateurs, tout à chacun un brin argenté pouvait se payer une Gibson ES-120T pour les plus modestes, une Gibson ES-125, ES-125T ou ES-125TD, une Gibson ES-135 bien plus rare, une Gibson ES-300, Gibson ES-350, Gibson ES-350TD, les sublimes et gigantesques Gibson Super 400, Super 400 CES, Gibson Byrdland, Gibson ES-125TD, une Gibson L5-CES, une signature Gibson Barney Kessel, une Gibson Tal Barlow, voire une Gibson Howard Roberts ou Gibson Trini Lopez pour les plus cross-over ou encore un modèle Gibson Citation qui venait sur commande spéciale honorer et clôturer le banc en 1969. Le Gibson Custom Shop des années quatre-vingt-dix sera avare de très belles factures dont de magnifiques reproductions de Gibson L5 en 16 pouces façon Eddy Lang (1902-1933) ou en encore une Gibson Wes Montgomery plus belle que nature. Des guitares rares à ne pas rater aujourd’hui !

Contre toute attente, Gibson qui fut le facteur industriel de la guitare amplifiée dont on sait l’aura des guitares à caisse, ne remporta pas un succès immédiat sur le terrain de la guitare électrique solid body, loin s’en faut. La création en 1952 de la Gibson Les Paul Gold Top, d’abord montée avec des micros P90 avant les micros humbuckers en 1957, puis la Gibson Les Paul Sunburst montée en PAF fut à proprement parler un échec commercial et marketing. Ceci est d’abord imputable à une création uniquement basée sur la réaction face aux guitares Fender et un placement de produit reposant sur l’image de Les Paul lui-même, dont la renommée était celle d’un artiste cross-over, un show man certes très populaire et dans l’air du temps mais pas vraiment au niveau de l’attente des musiciens amoureux de Gibson dans une période où le jazz est encore le roi de la scène. En d’autres termes, la Gibson Les Paul est considérée comme une guitare de chanteur de variété passant à la télévision dans des émissions mainstream. Nous sommes loin des clubs où se jouent les grandes Gibson et où s’écrit alors l’histoire de la guitare de jazz. De cet échec il faut retenir deux choses : la première est que le mythe de la Gibson Les Paul est né de la façon dont les protagonistes de ce fiasco ont raconté leur histoire, avec d’un côté un Ted McCarty qui justifiait ses choix et motivations en arrondissant les angles d’un dossier plus ou moins bien ficelé, et de l’autre la faconde jubilatoire d’un Les Paul qui – à son habitude – s’attribua bien plus dans cette création que la réalité en enjolivant d’année en année sa paternité dans la création de son modèle éponyme. Et la seconde chose alors ? Et bien qu’un échec puisse devenir un succès dix ans plus tard quand une nouvelle génération de musicien trouve dans Gibson Les Paul la perfection pour jouer leur rock-blues à haut débit de watts ! Ce qui est extraordinaire dans l’histoire de la Gibson Les Paul c’est que sa première réédition à la toute fin des années soixante sera un ratage du cœur de cible de son public. Tout le monde attendait une réédition de la Gibson Les Paul Sunburst, comme celle que Mike Bloomfield (1943-1981), le premier qui ait exhumé ce vilain petit canard de variété-jazz des années cinquante, et c’est une Gibson Les Paul Gold Top P90 et l’obscure Gibson Custom au micro alnico en position manche et au P90 en chevalet qui firent leur entrée au catalogue en 1968. Décidément, le sort, ou plutôt le manque de clairvoyance de la vénérable maison Gibson d’alors, s’acharne à rendre cette guitare impopulaire. Si l’on excepte les quelques horreurs de la guerre de la surproduction des années soixante-dix, par exemple certaines Gibson Les Paul  – dont une première réédition au poids excessif, dite pancake avec humbuckers en 1974 – ce n’est qu’à la fin des années quatre-vingt que de belles Gibson Les Paul Sunburst vont être à nouveau disponibles au catalogue. On ne dira jamais assez combien la première partie de l’ère de direction d’Henri Juszkiewicz (1953) fut une nouvelle période dorée pour Gibson et notamment dans son Custom Shop qui offrit des rééditions de très grandes qualités jusqu’à depuis le début des années 1990 jusqu’à l’aube des années 2000. Enfin, les fans de Led Zeppelin, de Free, de Dire Straits, des Allman Brothers et autres porte-drapeaux de la Gibson Les Paul Sunburst pouvait avoir accès à leur souhait si longtemps mal compris par la maison Gibson elle-même !

Les autres modèles électriques créés par Gibson au cours des années cinquante à soixante, et qui sont encore des instruments culte aujourd’hui, ont une histoire plus heureuse et se sont fondus dans le paysage des musiques de leur temps avec plus de bonheur. Nous évoquerons bien entendu l’immense succès des séries Gibson ES-335TD, Gibson ES-345TD, Gibson ES-355TD et Gibson ES-330 qui sont la véritable réussite et le cœur électrique même de chez Gibson, la gamme d’instruments électriques la plus copiée au monde avec les solid body de Fender. Contre toute attente, les variantes de la Gibson Les Paul, à savoir la Gibson SG, la Gibson Les Paul Junior, la Gibson Les Paul Special et même la Gibson Les Paul Deluxe des années soixante-dix, connaitrons un destin plus envieux que leur grande sœur. Les Gibson aux formes originales que sont les modèles Gibson Flying V, Gibson Explorer – ou la fantomatique Gibson Modern qui n’existe qu’en réédition – n’étaient à leur sortie en 1958 qu’une gageure pour, une fois encore, donner le change de la modernité face à Fender ! Un peu plus avant les modèles Gibson Firebird ou basse Gibson Thunderbird édités à partir de 1963 seront quant à eux clairement un passage marqué et remarqué sur les plates-bandes de Fender qui du reste en prendra ombrage…

Comme pour ces deux grands concurrents Fender et Gretsch, 1965 – qui correspond à la démission de Ted McCarty qui sera effective en 1966 -, semble être le point de non-retour de la créativité chez Gibson. C’est la date sur laquelle les historiens – mais aussi les amoureux de grandes guitares – s’accordent pour arrêter le sens véritable du vocable du vintage. Ce qui suit peut-être aussi chérissable, désirable et convoitable mais rien ne saurait se comparer à ce qui fut la production qualitative des guitares d’avant la moitié des années soixante !

Retour vers le haut