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JACOBACCI
L’histoire de la famille et de l’atelier de facture de mandolines et de guitares Jacobacci est parmi les plus signifiantes du phénomène qui vit les artisans italiens venir s’installer en France pour en révolutionner – sans intentions prémédités du reste – le milieu. C’est à Paris et avec Vincent Jacobacci (1895-1975), militant antifasciste immigré italien du sud, que commence l’aventure de l’entreprise familiale dès 1924 dans un modeste atelier de Ménilmontant. La production consiste alors en des banjos de série, des mandolines et quelques guitares acoustiques dont des copies Selmer avec des ouïes à la façon de Favino.
C’est un de ses douze enfants, Roger (1931-2010), qui s’investit dans les années cinquante dans la facture de guitares électriques en collaboration avec Stéphane « Steve » Brammer (1910-1983) dirigeant une petite société nommée RV pour Radio Vidéo, marque que l’on retrouve sur les micros RV Tonemaster montés sur les modèles Jacobacci électriques. Le magasin de Pigalle Major Conn sera tout à la fois le commanditaire et diffuseur des guitares Jacobacci qu’il achète certes en totalité de production mais pour une poignée de cerise aux luthiers de l’époque. Si ce marchand assure une distribution exclusive de la production de l’atelier Jacobacci, il le tient tout autant sous sa coupe. On notera que c’est Major Conn qui confia aux Jacobacci le design d’une ligne de guitares jazz calquée sur les modèles suédois Levin afin de proposer une alternative qui coûte moins au magasin à l’achat. L’emprise de Major Conn à Pigalle sur les petits luthiers est telle du reste que Jacques Favino mettra un terme à sa collaboration avec cette enseigne trop mercantile à son goût. Dès 1956, les guitares Jacobacci typées Levin sont disponibles ainsi chez le boutiquier sous le nom de Major et se déclinent sous les noms de Royal, Solist, Super Star et Super De Luxe.
En 1959, une nouvelle venue sera la Texas, dont la ligne s’inspire ouvertement de la Gibson Les Paul mais dont la conception chambered renvoie tout autant à une Gretsch Duo Jet ou encore un Paul Bigsby séminal dont les Jacobacci ou même Steve Brammer n’avaient jamais entendu parler. Il faut croire que les bonnes idées se captent dans l’air du temps. Sera ensuite introduite en 1960 l’Ohio, une guitare solid-body cette fois, dite « extra-plate » ! Rappelons que cet argument d’extrême platitude était emprunté au discours commercial de Fender qui l’utilisait pour vanter l’un des mérites de sa Stratocaster en un temps où la montre « extra-plate » faisait aussi fureur ! Encore une fois, l’air du temps… Ce modèle Ohio est d’une grande importance dans l’histoire de la facture de guitare en France : il est lié aux groupes de jeunes rockeurs hexagonaux tels que les Chaussettes Noires, les Pirates et autres Vautours ou encore Les Chats Sauvages mais surtout à la déjà importante figure de Johnny Hallyday (1943-2017) qui porte le modèle Ohio en haut de la liste du Père Noël des petits français binaires et gominés. La maison Jacobacci prend ainsi un peu de galon dans l’esprit de toute la profession alors même que Major Conn s’emploie à faire croire qu’elles sont fabriquées à l’étranger. À noter que les manches en aluminium conçus par l’atelier – et qui font l’objet d’un dépôt de brevet et d’une sous-traitance – apparaissent en 1958 en réponse à une demande accrue de guitares.
La rupture avec l’enseigne de Pigalle est consommée quand celle-ci refuse de revoir les termes du partenariat. Ainsi, en 1965, l’atelier Jacobacci, fort de l’arrivée d’André (1934-1991), frère de Roger, resserre sa production sur les modèles de qualité supérieure ainsi que sur la réparation. Dès 1964, Roger avait commencé à travailler pour Sacha Distel (1950-2004) dont on ne dira jamais assez qu’il fut l’un des musiciens de jazz les plus doués et réputé de sa génération en France et en Angleterre. Son passage à l’ennemi « yé-yé » lui a valu d’être souvent résumé à quelques brèves de tabloïd somme toute assez extra-musicaux. Quoiqu’il en soit, c’est sans doute Sacha Distel qui sut convaincre les frères Jacobacci du talent qu’ils avaient entre les mains et d’assumer jusqu’à leur nom sur leurs instruments. Les instruments ne comportant pas de nom portèrent tout d’abord une étiquette au nom de Rogand – contraction aussi maladroite que malheureuse de Roger et André -, avant d’arborer fièrement le nom Jacobacci sur la tête des guitares à la manière de Gibson. Dès lors, depuis la fin des années soixante jusqu’au début des années quatre-vingt-dix, les frères Jacobacci qui sont à la barre de l’entreprise familiale vont produire environ 150 instruments par an pour les professionnels, semi-professionnels et amateurs éclairés. Pas une tête d’affiche de studio qui n’ait son modèle plus ou moins personnalisé : Raymond Jimenez, Pierre Cullaz, Slim Pezin, René Duchossoir, Janik Top, Bernard Paganotti, Sylvain Marc… Le modèle Studio commercialisé en 1968 – montés avec les micros Golden Sound puis ceux de Michel Benedetti (1931-2005) – est en quelque sorte les prémisses des modèles professionnels à venir.
Les imitations et adaptations de Gibson seront alors les plus courantes avec tout d’abord les micros Benedetti installés sur les guitares puis des Gibson. Il est intéressant de noter qu’un voyage aux États-Unis, dans le courant des années quatre-vingt, avec le fabricant de micro Benedetti et André Duchossoir (1949-2020), le fils du musicien de studio dit « La Godasse », et qui écrivit les tous premiers ouvrages de références sur la guitare vintage, fut particulièrement inspirant pour les luthiers. À ce titre, c’est à André Duchossoir que l’on doit le dessin du modèle Zébra de Jacobacci, une création inspirée par les belles Gibson Les Paul Junior vues et glanées sur les routes américaines. La fermeture de l’atelier Jacobacci en 1994 laissa à Paris un vide aussi sidéral que la fermeture de celui de Favino rue de Clignancourt dix ans plus tôt ou encore celui de Di Mauro rue de la Réunion en 1993. Plus qu’une simple page de la lutherie franco-italienne qui se tournait, ce sont des volumes entiers qui se refermaient avec eux.